Quelques réflexions sur le rapport du gouvernement jurassien relatif à la reconstitution de l’unité du Jura

Il y a quelques semaines, le gouvernement jurassien a publié son « Rapport annuel sur la reconstitution de l’unité du Jura ». Cette année, ce texte est consacré à la votation du 24 novembre 2013 sur les avantages et la logique qui, selon le gouvernement jurassien, devraient inciter les deux Juras à dire oui à un projet visant à unir dans une nouvelle entité la République et canton du Jura et le Jura bernois.

Dans le cadre d’un petit article, il est impossible de réfuter point par point les affirmations parfois tendancieuses et erronées du rapport du gouvernement jurassien. Ce document d’une cinquantaine de pages appelle de notre part les remarques succintes que voici :

1. Une ingérence dans les affaires du Jura bernois

Qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou non, ce rapport constitue tout d’abord une ingérence dans les affaires du Jura bernois. L’invitation qui nous est lancée « à construire ensemble une entité cantonale entièrement nouvelle » (p. 7) témoigne de cette réalité à connotation impérieuse. Par ces affirmations et ces démonstrations, le gouvernement jurassien parle de nous, dispose de nous et distribue bons et mauvais points comme un monarque absolu conscient de sa supériorité et de son bon droit. Que diraient les autorités cantonales neuchâteloises ainsi que les districts du Locle et de La Chaux-de-Fonds si le canton du Jura invitait les Montagnes neuchâteloises à le rejoindre par le biais d’un processus institutionnel ?

2. Un leurre

Le rapport revêt toutes les allures d’un leurre destiné à entraîner la population du Jura bernois dans un processus politique qui, de proche en proche, d’accommodements en accommodements et de « pourquoi pas » en « pourquoi pas », conduira à un canton du Jura élargi. Le gouvernement jurassien sait pertinemment que seul le sens tactique avéré qu’on lui connaît le pousse à affirmer : « Approuver le lancement d’un processus ne signifie pas qu’on en adopte d’ores et déjà le but principal, soit la création d’un nouveau canton. Prétendre le contraire … revient à dénaturer le sens même de l’objet soumis au vote. » (p. 11). Si cette allégation est juridiquement juste, elle est politiquement fausse parce que le gouvernement jurassien sait très bien qu’il vaut mieux utiliser le gradualisme (lisez la tactique du salami) pour parvenir à ses fins que le recours à un vote qui poserait directement la question de l’appartenance cantonale du Jura bernois.

3. La tromperie fondamentale

Le gouvernement jurassien, de même d’ailleurs que tous les séparatistes, allèguent que le processus initié par deux votes positifs (celui du Jura et celui du Jura bernois) le 24 novembre prochain vise à construire un nouveau canton et non à favoriser l’absorption du Jura bernois par le Jura. Quel esprit lucide croira cela ? Nous prenons le pari qu’un double oui en novembre conduirait, dans un laps de temps de six à huit ans, à une nouvelle entité géopolitique qui continuerait à s’appeler canton du Jura, avec son drapeau actuel, sa « Rauracienne » et la prédominance de l’agglomération delémontaine. Pour le Jura bernois, dire oui le 24 novembre prochain signifierait sans ambiguïté aucune quitter le canton de Berne et rejoindre le canton du Jura. Point à la ligne.

4. Une surinterprétation de l’Histoire

Le rapport évoque la « région jurassienne » comme si elle était une et indivise. Ses auteurs recourent au concept « d’histoire jurassienne » (p. 5) évidemment commune au canton du Jura et au Jura bernois. Contre l’évidence, ils prétendent que « jusqu’en 1979, le territoire jurassien n’avait pas connu la division. » C’est totalement passer sous silence les profonds clivages qui, depuis des siècles, ont séparé le Nord du Sud. Dès le Moyen Âge, le Sud était appelé « partie helvétique de l’Évêché de Bâle » alors que le Nord relevait du Saint-Empire romain germanique. La Réforme a été adoptée au Sud et pas au Nord. Quintessence de ces césures : en 1974, le Nord a massivement accepté la création d’un nouveau canton du Jura tandis que le Sud rejetait cette proposition à une majorité des deux tiers.

5. Les erreurs méthodologiques

Le rapport contient plusieurs erreurs méthodologiques. Tout d’abord, les comparaisons statistiques entre le Jura et le Jura bernois reposent sur des références chronologiques changeantes, souvent choisies pour les besoins de démonstrations biaisées. Ainsi, pour la représentation dans les commissions et délégations parlementaires fédérales, il prend comme référence l’année 2012, une année exceptionnelle pour un Jura bernois qui a toujours été représenté sous la Coupole jusqu’en 2011 et qui le sera à nouveau dès 2015. Pour les évolutions démographiques respectives, on part de 1980 (cela est correct) mais quand il s’agit des emplois en %o de la population, on se focalise sur la seule année 2008. Pour les nuitées, on choisit 2011. Pour l’évolution des primes d’assurance-maladie, on calcule depuis 2004, alors que la LAMal, avec son nouveau système, remonte au 1er janvier 1996. Tout cela n’est pas très sérieux ! Ensuite, selon les besoins de la cause, les réalités socio-économiques du canton du Jura sont comparées soit à celles du canton de Berne dans son ensemble (indice de productivité du secteur hospitalier, p. 27 ou bourses d’études, p. 24), soit à celles du Jura bernois seul (par exemple le nombre d’emplois en %o de la population, p. 20) !

6. Un exemple d’erreur factuelle

Dans le rapport, il est précisé que les primes d’assurance-maladie moyennes sont plus élevées dans le canton de Berne que dans le canton du Jura. Mais toujours soucieux de dire que derrière la Roche-Saint-Jean on est en Eden et en deçà en Hadès, les auteurs dissimulent avec art que ces primes sont plus basses dans le Jura bernois (zone de tarification 2 du canton de Berne).

7. Les vérités sorties de leur contexte

Il est exact que les bourses d’études accordées par habitant sont plus hautes dans le canton du Jura que dans le canton de Berne. Cette réalité s’explique toutefois partiellement par les contextes géographiques différents et des systèmes de formation divergents. Le canton du Jura est relativement excentré et n’abrite pas sur son territoire d’Université ou de Haute école spécialisée complète (la HES Arc, à laquelle le canton du Jura est intégré, déploie 90 % de ses activités à Neuchâtel). Contrairement aux étudiantes et étudiants bernois, presque tous les jeunes Jurassiens qui entreprennent des études supérieures sont dès lors contraints de quitter leur domicile familial afin de poursuivre leurs études, ce qui a pour effet que nombre d’entre eux perçoivent une bourse d’études.

Par ailleurs, s’il est vrai que les entreprises et les administrations du canton du Jura ont créé davantage d’emplois que les jurassiennes bernoises, beaucoup de ces emplois profitent à des frontaliers qui n’irriguent pas substantiellement le tissu socio-économique du canton du Jura. Autre est la situation du Jura bernois qui voit des centaines de ses habitants travailler à Bienne, Granges, La Chaux-de-Fonds, Neuchâtel ou ailleurs encore tout en payant des impôts dans des communes dont ils enrichissent aussi la vie associative.

8. Les vérités non liées à l’appartenance cantonale

Plusieurs des affirmations du gouvernement jurassien sont vraies intrinsèquement mais ne présentent pas de pertinence comparative parce qu’elles ne sont pas liées à l’appartenance cantonale. Ainsi, les nuitées seront toujours plus nombreuses dans le canton du Jura que dans le Jura bernois (p. 19), que celui-ci rejoigne le canton du Jura ou qu’il demeure dans le canton de Berne. Cela vaut aussi pour d’autres réalités telles que le nombre d’entreprises implantées ou la croissance démographique. N’oublions jamais, qu’à de rares exceptions près telles que St-Moritz, Verbier ou Gstaad, la richesse présente, plus encore aujourd’hui qu’autrefois, une corrélation étroite avec l’altitude. Dans le canton de Neuchâtel, le littoral a connu un développement plus intense que les Montagnes neuchâteloises. St-Croix a aussi enregistré une expansion moindre que Montreux. Les régions de basse altitude sont, toutes choses égales d’ailleurs, plus riches que les régions situées à des altitudes plus élevées, ce qui est le cas du Jura bernois par rapport au canton du Jura. Tout cela n’a strictement rien à voir avec l’appartenance cantonale.

9. Des éléments de vérité

Tout n’est certes pas faux dans le Rapport, loin s’en faut ! Il est ainsi vrai que le taux de chômage est tendanciellement plus faible dans le Jura bernois que dans le canton du Jura (p. 20). A titre d’information, ce taux s’élevait à 3,0 % dans le Jura bernois et à 3,5 % dans le canton du Jura à la fin du mois de mai 2013. Il est tout aussi vrai que la charge fiscale globale est, en moyenne, un peu plus faible dans le Jura bernois que dans le canton du Jura.

10. Un sujet d’étonnement

Les auteurs du Rapport affirment à plusieurs reprises que depuis l’entrée en souveraineté du canton du Jura, ce dernier s’est développé davantage que le Jura bernois (explicitement en p. 17 et 20). Depuis bien avant Bismarck, chacun sait que la politique est avant tout affaire d’intérêts et de rapports de force. On s’étonne dès lors que le canton du Jura veuille absolument agrandir son territoire par l’adjonction d’un Jura bernois plus faible que lui. Logiquement, cette disparité devrait provoquer une diminution de la richesse moyenne de l’entité envisagée et, toutes choses égales d’ailleurs, y entraîner une hausse des impôts !

11. Les conclusions

A la lumière des quelques réflexions et réfutations évoquées précédemment, il semble évident que le Jura bernois n’a pas vraiment intérêt à rejoindre le canton du Jura. Un récent sondage indique que les Jurassiens bernois souhaitent demeurer au sein du canton de Berne parce qu’ils se sentent bien dans les structures et le cadre institutionnel actuels. Ils diront donc NON le 24 novembre prochain pour préserver leur identité et continuer à développer leurs solidarités naturelles avec Berne, avec la Suisse romande et avec leurs partenaires de l’Arc jurassien.